On vide la ferme de Saltanat. Son père lourdement endetté n’y survit pas. Sa mère la supplie de les sauver, elle et ses jeunes frères, en allant à la ville quémander l’aide de Bayandyk, un oncle qu’on suppose suffisamment riche et puissant pour les sortir d’affaire. Parfaitement consciente de ce qu’on lui demande, après une hésitation, Saltanat part donc rencontrer cet oncle, accompagnée de l’ami fidèle Kuandyk qui a justement, dit-il, toujours rêvé de créer une affaire en ville.
Adilkhan Yerzhanov : « Au Kazakhstan une jeune fille ne peut pas contredire ou accuser sa mère ; un jeune homme victime d’une injustice n’ira pas se plaindre. La population endure et se tait.
Tout fonctionne par clans, à travers les liens familiaux. Il faut avoir quelqu’un de riche, quelqu’un de haut placé dans sa famille pour s’en sortir. Je ne crois pas à un système vertical qui ferait les choses mal, chez nous le mal passe par la famille, considérée pourtant comme sacrée. Je suis convaincu que c’est le sentiment de devoir familial qui prive les gens de liberté. La famille est une prison…
Je ne suis pas un révolutionnaire, j’essaie seulement de témoigner de ce que je vois avec honnêteté.Peut-être qu’avec ce film j’ai trouvé une réponse simple à comment vivre aujourd’hui : il faut sauver l’amour ; c’est le plus révolutionnaire à mon sens. Toute action violente est contre-productive.
Je cite Albert Camus dans le film (le titre est tiré de « L’étranger ») parce qu’il a donné une réponse équivalente. La rébellion dans le monde réel lui paraissait souvent impossible ; il y avait donc pour lui et de façon préférable, la rébellion dans l’art, une rébellion intérieure plutôt qu’extérieure.
J’ai toujours su que je réaliserai un film sur l’amour. J’ai attendu parce qu’il me paraissait difficile de ne pas tomber dans le mélodramatique.
Comment faire ? J’ai pensé que la solution était de mêler des problèmes sociaux au mélodrame ; ça permettait d’éviter certains clichés et de transformer l’amour en autre chose, en une manière de protester. Je me suis aussi demandé ce qui se passerait si des amants de vieilles légendes se trouvaient plongés dans la société contemporaine. Dans ces textes les amoureux sont toujours confrontés à un ordre des choses établi, comme dans « Roméo et Juliette ».
Le film est très pictural, est-ce que des images sont aussi à son origine ?
Une des étincelles déclencheuses a été une toile de Paul Delvaux « Solitude » (1955). On y voit une femme habillée en rouge de dos sur un quai de gare. Ce n’est pas la seule image, mais celle-ci m’a beaucoup obsédé. Le tableau n’est pas dans le film, mais il y en a une réminiscence dans un plan. Le réalisme magique de Delvaux m’accompagne depuis longtemps ; mais dans cette image le mélange entre une solitude étrange et le décor quotidien m’a aidé à formuler l’atmosphère que je cherchais.
Le film a été présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2018 (Un certain regard), ainsi qu’à La Rochelle, Bergen, Copenhague, Busan, Jérusalem, Le Caire, Varsovie, Gand, Karlovy Vary…